Pour ce chercheur, la crise sanitaire est le reflet de notre impact sur les écosystèmes

Pour ce chercheur, la crise sanitaire est le reflet de notre impact sur les écosystèmes

Si l’on nous avait annoncé il y a un an qu’un virus bouleverserait le cours de nos vies jusqu’aux quatre coins du globe et mettrait des pays entiers à l’arrêt, nous aurions probablement souri. Pourtant, à y regarder de plus près, il semblerait que la crise que nous traversons était plus prévisible qu’il n’y paraît. Premier indice (le plus évident) : nos modes de transport nous connectant à l’autre bout de la planète en un claquement de doigt. Mais pour certains, la mondialisation n’est pas la seule à mériter une place sur le banc des accusés. C’est en tout cas l’avis de Serge Morand, chercheur au CNRS et au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), pour qui déséquilibre écologique et crise sanitaire sont les deux facettes d’une même pièce.

Serge Morand est chercheur, spécialiste en écologie parasitaire, écologue de la santé et professeur à la faculté de médecine tropicale de Bangkok et à la faculté de médecine vétérinaire de Kasetsart, en Thaïlande. Depuis des années, il s’intéresse aux relations entre la biodiversité, les animaux d’élevage et la santé. Dans son essai L’homme, la faune sauvage et la peste (2020), il met l’humain face à ses responsabilités dans la propagation du coronavirus. Et pour lui, il est urgent de revoir notre copie…

Déforestation, élevage intensif, agriculture, effondrement de la biodiversité, réchauffement climatique : comment les dégâts environnementaux de notre civilisation peuvent-ils conduire à des pandémies mondiales ? A-t-on connu des précédents ? Risque-t-on d’assister à de nouvelles flambées épidémiques si nous ne rectifions pas le tir rapidement ? Et surtout, quelles leçons tirer de la crise du COVID-19 ? Interview.

Serge Morand

Le 5 février dernier, uneétude a mis en évidence l’influence probable du réchauffement climatique sur la transmission du coronavirus de l’animal à l’Homme (le climat ayant offert de nouveaux habitats aux chauves-souris, espèce présumée à l’origine de la transmission du virus). Qu’en pensez-vous ?

Serge Morand - Pour être honnête, je trouve que la méthodologie de cette étude mériterait d’être approfondie. Le papier met en évidence le lien entre le changement climatique et le stress auquel sont soumises les chauves-souris, mais il n’explique pas l’émergence du virus.

En revanche, nous avons aujourd’hui des données indiquant que le fait de soumettre les animaux au stress de la variabilité climatique (c’est-à-dire des évènements non ordinaires type sécheresse intense ou pluies diluviennes, conséquences du réchauffement climatique) ou au stress de la présence humaine (urbanisation, travaux bruyants, déforestation) a un impact sur leur santé, leur système immunitaire et la transmission des pathogènes. Ce stress peut favoriser la sécrétion des virus et augmenter le risque de débordement inter-espèces. Dans une étude co-réalisée avec Alice Latinne, nous avons analysé toutes les émergences de virus issus de chauve-souris chez les animaux domestiques et chez les humains depuis 1995 et nous avons effectivement observé une corrélation avec ces évènements climatiques non ordinaires.

Nous avons trop peu d’études d’immunoécologie et, pourtant, c’est à ce niveau qu’il faudrait être plus attentif. Jusqu’à présent, on n’a pas fait d’écologie : on s’est toujours arrêté à la virologie.

Alors comment expliquer ce mécanisme de transmission entre espèces ?

D’après les récentes déclarations de l’OMS, on n’en sait finalement pas plus qu’il y a un an. Le marché de Wuhan n’est en fait peut-être pas à l’origine du passage chez l’Homme, le virus du SARS-CoV-2 chez la chauve-souris est présent dans toute l’Asie du sud-est et la Chine du sud et nous n’avons pas encore prouvé le passage par un hôte intermédiaire (comme le pangolin). Mais il y a deux grandes hypothèses :

  • D’une part, la transmission directe à l’humain en passant par des gens déjà multi-infectés par d’autres coronavirus (nos bronchites traditionnelles à coronavirus), comme ceux qui travaillent dans des grottes ou des mines en contact avec l’atmosphère des chauves-souris.
  • D’autre part, la transmission intermédiaire aux animaux domestiques ou aux animaux sauvages mis en élevage (pour la fourrure, la nourriture, la médecine traditionnelle). Nous avons deux milliards de canards en élevage sur terre, 25 milliards de poulets… Souvent, ces élevages ne sont pas d’une très grande biosécurité et il y a beaucoup de promiscuité avec d’autres animaux (et notamment avec les chauves-souris, lorsque les élevages sont dans des hangars par exemple). Ce n’est pas tant la viande en elle-même que la manipulation de viande (de cochon, vache, volaille…) et la mise en élevage de la faune sauvage qui est très à risque.

“En “simplifiant” la nature, on perd le propre même de la biodiversité : la régulation”

**En quoi le déséquilibre de la biodiversité favorise-t-il les épidémies ? **

Ces dernières décennies, les maladies infectieuses se sont montrées de plus en plus nombreuses et de plus en plus globales chez les humains et les animaux domestiques. Elles sont très liées à l’accroissement des animaux et impactent à la fois leur santé, la nôtre, et la biodiversité . Les données commencent à être claires à ce sujet.

Avec l’élevage intensif, on favorise des races industrielles avec une grande homogénéité génétique (contrairement aux élevages mixtes avec une grande diversité génétique, où les agents pathogènes peuvent être favorisés mais pas les épidémies). Or, en “simplifiant” la nature, on perd le propre même de la biodiversité : la régulation. En d’autres termes, on favorise la circulation des maladies infectieuses.

“Il faut s’attaquer aux causes et non plus uniquement aux conséquences”

La déforestation (en grande partie due à la production de pâture pour les animaux d’élevage) et les plantations commerciales favorisent elles aussi l’émergence d’épidémies (malaria, dengue, zika, chikungunya…). Comme il y a de moins en moins d’oiseaux pour manger les moustiques à l’origine de ces maladies vectorielles, on utilise beaucoup d’insecticides pour les plantes. Résultat : les moustiques développent des résistances. On fait tout l’inverse de ce qu’il faudrait.

Avec cette simplification des paysages, ce changement de l’usage des terres, cette diminution du nombre d’espèces et cet appauvrissement de la diversité génétique, on perd les interactions régulatrices qui sont à la base de l’équilibre des écosystèmes. Et en perdant de la biodiversité, on perd les compétiteurs et les prédateurs de petites proies comme les rongeurs (qui sont de très bons réservoirs pour les virus), donc on favorise le développement d’espèces généralistes et il n’y a plus de régulation.

Et puis, le fait de se couper de notre environnement nous touche aussi directement. On sait aujourd’hui que le contact avec la nature est bon pour notre santé psychologique mais aussi pour notre santé physiologique. Jusqu’à présent, nous tenions parce que nous avions des systèmes de santé capables de gérer la situation. Mais aujourd’hui, on perd toute la résilience de nos systèmes de santé publique (humaine et animale). C’est un signal d’alarme très fort. On ne peut pas penser que les solutions qu’on a toujours promues, comme la biosécurité et la biosurveillance, sont tenables sur le long terme : il faut s’attaquer aux causes et non plus uniquement aux conséquences.

Finalement, quel est le lien entre crise écologique et crise sanitaire ?

La crise sanitaire est le reflet de notre relation à l’écosystème. Les signes d’un dysfonctionnement dans la transmission des agents pathogènes auraient dû nous alerter depuis longtemps, mais nous ne nous intéressons pas du tout à la santé de la faune sauvage et à ce qu’il se passe réellement pour elle-même. Nous nous fichons de sa propre survie et nous passons à côté des signaux d’alarme, comme par exemple celui des amphibiens qui disparaissent à cause de champignons émergents ou des animaux marins qui disparaissent à cause de virus issus des animaux domestiques… Nous fermons les yeux sur les épidémies qui se propagent chez les espèces sauvages, mais nous oublions que nous sommes aussi en bout de chaîne.

Et puis la notion de crise sanitaire est politique. D’un seul coup, une épidémie devient visible à grande échelle et devient un problème de société, alors que de nombreuses épidémies sont déjà là mais ne sont pas considérées comme des crises tant que les politiques ne s’y intéressent pas. Et comme pour la “crise sanitaire”, lorsque l’on parlera de “crise écologique”, il sera trop tard et les proportions seront globales (économiques, sociales…).

“Les pays qui sont le plus connectés sont ceux qui ont le plus d’épidémies”

Hormis le COVID-19, y a-t-on déjà connu des épidémies dues à l’action de l’humain sur l’environnement ?

C’est assez clair avec les grippes aviaires ou encore la grippe porcine (H1N1) : (…)

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