Santé climatique, urgence humanitaire : Denis Sassou-N’Guesso au front du rendez-vous mondial de l’OMS à Brazzaville la verte (Par le Dr Michel Innocent Peya, écrivain-chercheur)
Les hommes ont, au cours des siècles, altéré l’écosystème local et modifié sensiblement le climat. Aujourd’hui, cette influence humaine négative se fait sentir partout sur la planète du fait de l’accroissement démographique mondial, d’une augmentation très significative de la consommation énergétique mondiale, de l’utilisation intense et abusive des terres, du commerce international, des déplacements internationaux des personnes et tant d’autres activités humaines. Les changements ou bouleversements qui en découlent nous forcent à réaliser que la santé des populations humaines entières dépend à long terme du fonctionnement stable, contrôlé et continu des systèmes écologique, physique et socio-économique de la biosphère.
Le système climatique mondial fait partie intégrante de l’ensemble des processus nécessaires au maintien de la vie sur terre et sa protection est une question vitale pour l’humanité. Depuis la nuit des temps, le climat a toujours eu un impact puissant et réel sur la santé et le bien-être de l’homme ou des êtres humains. Toutefois, comme beaucoup d’autres grands systèmes naturels, le climat mondial subit le contrecoup des activités destructrices de l’homme. Le réchauffement climatique planétaire représente donc un nouvel enjeu vital et un grand défi stratégique pour ceux qui se soucient et s’emploient à préserver et/ou protéger la santé humaine.
Le dérèglement climatique pose un problème plus que majeur et, dans une large mesure, très méconnu. Le présent article décrit brièvement le processus complexe du réchauffement climatique planétaire, ses effets néfastes actuels et futurs sur la santé de l’homme partout dans le monde, ainsi que la manière dont nos sociétés humaines nationales peuvent en atténuer les effets négatives et les conséquences malheureuses moyennant des stratégies efficaces d’adaptation, d’atténuation et la réduction très sensible des émissions de gaz à effet de serre. En référence à Chantal Pacteau et Sylvie Joussaume nous avons, dans cette publication, fais une description synthétique de la problématique des effets du changement et/ou réchauffement climatique sur la santé humaine dans l’optique de l’alerte sanitaire donnée par le Président Denis Sassou N’Guesso lors de la 74e session de l’OMS-Afrique à Brazzaville le 26 août 2024.
Changement climatique et santé humaine
Le climat se réchauffe en lien avec les activités humaines. Utilisation massive d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel), changements considérables dans l’usage des terres (déforestation, intensification agricole, urbanisation), surexploitation des ressources vivantes… ont pour effet de modifier la composition de l’atmosphère et de renforcer l’effet de serre naturel. Le réchauffement climatique, particulièrement marqué depuis les années 1950, résulte en grande partie de ces phénomènes d’origine anthropique. Il altère les régimes de température et de pluviométrie, et par là même le fonctionnement des écosystèmes. Les impacts du réchauffement vont se poursuivre et s’intensifier au cours du XXIe siècle à moins d’une réduction importante des émissions anthropiques des gaz à effet de serre. Les conséquences pour les sociétés qui vivent dans ces écosystèmes, avec lesquels elles ont évolué au cours des millénaires, vont dépendre de leurs possibilités et capacités à s’adapter à ces modifications environnementales, qui seront plus au moins importantes selon la vitesse et le contenu les politiques d’atténuation et d’adaptation qui seront mises en place.
Le changement climatique affecte la santé des humains d’une manière inédite dans l’évolution et dans l’histoire de l’humanité. Stress thermiques, problèmes respiratoires, allergies, infections bactériennes et/ou virales, cancers de la peau… multiples sont les pathologies susceptibles d’émerger ou d’évoluer dans leur répartition spatiale et temporelle, leur incidence et leur intensité sous l’influence du changement climatique. Les impacts de ce changement peuvent être directs, en liaison avec la hausse progressive des températures ou l’occurrence accrue d’événements extrêmes (vagues de chaleur, périodes de sécheresse, inondations, feux…). Mais bien souvent, ils sont indirects, agissant par le biais d’un changement de la qualité de l’air respiré, de la qualité de l’eau absorbée, ou via l’évolution spatiale et temporelle des zones de viabilité des agents pathogènes (bactéries, vecteurs de maladies, pollens allergisants). Un troisième type d’effets est lié aux conditions de vie des populations. A cet égard, le changement climatique peut être considéré comme un facteur de la vulnérabilité des populations, ses effets étant modulés par les conditions sociales (malnutrition, inégalités économiques, conflits…), par l’état des systèmes de santé et les possibilités d’accès à ces systèmes.
Le Président Denis Sassou-N’Guesso a ouvert du 26 au 30 août 2024 à Brazzaville, les travaux de la 74e session du Comité régional de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour l’Afrique qui a eu pour thème « Un monde mobilisé pour la santé, la santé pour tout le monde » et qui rassemble, entre autres, les ministres chargés de la Santé des quarante-sept pays membres ainsi que le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.
« Il sied de focaliser nos actions sur les problèmes de santé les plus en vue, sous le leadership de l’OMS… Je voudrai de nouveau appeler à une coalition en faveur de l’Initiative de la ‘’Journée internationale des soins de santé primaire « lancée par mon pays en mai 2024 à Genève, lors de la dernière assemblée mondiale de la santé », a-t-il déclaré après avoir reçu une distinction de l’OMS pour son engagement dans le domaine de la santé.
Le Président de la République a, par ailleurs, appelé à faire preuve d’une vigilance accrue pour une surveillance épidémiologique soutenue et une riposte urgente et efficace, soulignant le fait que cette 74e session se tient au moment où l’épidémie de la variole du singe touche plusieurs pays.
Appréhender les relations climat-santé et leur évolution dans le futur proche et lointain nécessite ainsi une démarche intégrant différents domaines de la connaissance, allant des sciences du climat et de l’atmosphère à celles de la santé des humains et de leurs milieux de vie, tant environnementaux que sociopolitiques. Le Groupe d’intérêt scientifique Climat-Environnement-Société (en abrégé, GIS Climat) a expérimenté et mis en œuvre une telle démarche en renforçant des approches interdisciplinaires sur les enjeux de santé. Quelques exemples sont donnés ici des problématiques qu’il a soutenues.
Impacts directs du changement climatique sur la santé
Températures, événements extrêmes et surmorbidité
Les modèles représentant numériquement le fonctionnement du climat s’accordent tous à montrer que le réchauffement du climat s’accompagne d’une augmentation du nombre et de l’intensité des vagues de chaleur. Déjà observé actuellement, ce phénomène devrait s’aggraver à l’avenir. En l’absence de politique climatique, les écarts de chaleur par rapport à la normale ne seraient plus de l’ordre de 3°C pour les étés les plus chauds en France, comme mesuré en 1976 et en 2003, mais pourraient atteindre les 9°C autour de 2080. Les modèles indiquent que les écarts pourraient être très marqués d’un été à l’autre : à une échéance peu lointaine, il faut s’attendre à devoir faire face à des vagues de chaleur à 42°C durant quinze jours consécutifs à Paris. Ces vagues de chaleur sont à l’origine d’une surmortalité estivale, due à des effets d’hyperthermie, de déshydratation ou encore à des troubles cardio-vasculaires. Leur plus grande fréquence dans le futur aura probablement un effet négatif plus fort sur la santé que l’effet positif de la diminution de la fréquence des vagues de froid.
Le réchauffement climatique favorise aussi des épisodes de fortes précipitations, avec pour conséquence une aggravation des inondations et des crues – particulièrement là où les sols sont imperméabilisés, comme dans les espaces urbanisés. Suite à l’élévation générale du niveau de la mer, les régions côtières pourront également être soumises à des inondations plus fréquentes provoquées par une augmentation des épisodes de surcote lors des tempêtes. Les principaux risques associés à ces événements extrêmes sont – outre les blessures et les noyades – les crises cardiaques, le stress post-traumatique et autres troubles psychiques.
Rayonnement solaire ultraviolet et cancers cutanés
Le changement climatique affecte le rayonnement solaire ultraviolet (UV) reçu au sol en agissant sur les paramètres environnementaux qui le contrôlent. Ces paramètres sont principalement le contenu atmosphérique d’ozone et d’aérosols, la couverture nuageuse et la réflectivité de surface (albédo). L’exposition au rayonnement ultraviolet a des effets bénéfiques (la synthèse de la vitamine D) ou néfastes (érythèmes et cancers cutanés) sur la santé suivant la quantité et la longueur d’onde du rayonnement reçu. Des études ayant pour objet l’impact du changement climatique sur le rayonnement UV (RISC UV) et l’évaluation des risques et bénéfices de l’exposition aux UV1 ont réuni physiciens de l’atmosphère, médecins dermatologues et épidémiologistes pour évaluer les parts relatives des facteurs environnementaux et comportementaux dans l’augmentation observée du nombre de cas de cancers cutanés. Différents types de mesures du rayonnement UV ont été effectués en région parisienne, qui montre que le rayonnement au sol n’est affecté qu’à partir d’une couverture nuageuse supérieure à 70% – certains types de nuages fractionnés pouvant même jouer un rôle amplificateur. Par ailleurs, des écarts d’indice UV d’environ 40% existent entre les mesures obtenues sur des parvis, dans les rues ou les jardins. Même à l’ombre, les conditions d’apparition d’un érythème peuvent être réunies chez les personnes de phototype clair après 100 à 160 minutes d’exposition au soleil.
La reconstitution de la couche d’ozone au XXIe siècle aura pour effet de réduire le rayonnement UV à la surface de la terre, diminuant les risques d’apparition de cancers de la peau mais augmentant la durée d’exposition nécessaire à la synthèse de la vitamine D. Ces changements dépendront cependant de la quantité de particules dans l’air qui, lorsqu’elle diminue, réduit la durée d’exposition nécessaire à l’apparition d’un érythème, ce qui pourrait s’avérer le cas pour les scénarios futurs de faible changement climatique, résultant de la mise en œuvre de politiques vigoureuses et cohérentes d’atténuation et d’adaptation.
Impacts indirects sur la santé via les modifications des milieux de vie
L’air et les pollens
Les allergies aux pollens sont devenues une question de santé publique du fait de la multiplication par trois du nombre d’allergies depuis 25 ans. Si le changement climatique peut favoriser les allergies par ses effets globaux sur les organismes, il l’affecte aussi via la source pathogène à travers la production des pollens par les végétaux. Pour constituer des cartes de risque allergique, des simulations de concentrations en pollens ont été effectuées pour le bouleau et l’ambroisie à partir de paramètres météorologiques, de modèles de floraison et de production de pollen, des données de distribution spatiale des plantes et d’un modèle de transport atmosphérique. Le bouleau, dont la distribution géographique est assez stable dans le temps, a permis de constituer des cartes de production de son pollen dans les régions françaises.
L’établissement de cartes de localisation de l’ambroisie est beaucoup plus difficile que pour le bouleau, car l’espèce est mobile et les données la concernant sont très partielles. Cette plante herbacée invasive a été introduite en Europe il y a une cinquantaine d’années à partir de plants venus d’Amérique du Nord. Considérée comme la plante la plus allergène connue à ce jour, elle se développe fortement dans les pays des Balkans. En France, elle est présente dans la région lyonnaise. Les concentrations peuvent dépasser 750 grains/m3/jour pour les zones les plus infectées, alors que l’on estime que les réactions allergiques peuvent apparaître à partir de 10 grains par m3.
L’effet du réchauffement climatique combiné à la dynamique d’invasion de l’ambroisie conduit à prédire que les concentrations en pollen pourraient, d’ici 2050, être multipliées en moyenne par un facteur 4 (fourchette d’incertitude allant d’un accroissement d’un facteur 2 à un facteur 12). Les contributions relatives du climat et de l’invasion de la plante dans cette augmentation sont de 1/3 et 2/3 respectivement. Malgré les incertitudes liées notamment sur la distribution de la plante, le changement global participera à la hausse de la production de pollen, ceci d’autant plus que l’évolution prévisible du climat élargira la niche écologique potentielle de l’espèce en Europe.
L’environnement épidémiologique
Le changement climatique affecte l’écologie de la transmission d’un certain nombre d’agents de maladies infectieuses. L’environnement épidémiologique se modifie donc, mais comment ? Avec quelles conséquences pour la santé des humains ? Cette question a été abordée lors de l’atelier « Le changement climatique induit-il une aggravation des maladies infectieuses émergentes » organisé lors du colloque « Notre santé dépend-elle de la biodiversité ? »
Les projections les plus simples à notre disposition concernent les modifications de l’environnement physique où, par exemple, les changements d’aire de répartition des vecteurs sont prédits et cartographiés à l’aide des modèles climatiques établis pour les différents scénarios de développement économique. Cependant, comme la transmission d’un agent infectieux dépend tout ou partie des conditions locales de biodiversité, il convient de construire des modèles intégrant les modifications de biodiversité avec les variables climatiques. Ces modèles sont théoriques car, à ce stade, nous atteignons les limites de nos connaissances sur les liens entre biodiversité et écologie de la transmission des agents infectieux.
Différents travaux publiés dans le monde montrent que les distributions de nombreuses maladies infectieuses vont changer, surtout celles qui nécessitent la présence de vecteurs pour assurer la transmission, comme la dengue ou le chikungunya. Ces modèles prédisent de nouveaux territoires à risque du fait des modifications des niches environnementales, qui deviennent favorables à l’établissement des cycles infectieux. Les modèles montrent généralement un déplacement des niches environnementales des maladies infectieuses avec des déplacements des aires de distribution vers les régions élevées en latitude (comme pour la dengue) ou en altitude (comme pour le paludisme) avec l’évolution future du climat.
Les phénomènes climatiques El Niño/La Niña sont connus pour les conséquences épidémiques de nombreuses maladies infectieuses. Les événements anormaux de pluviométrie extrême favorisent les maladies vectorielles ou à réservoirs comme la dengue, l’encéphalite japonaise, le paludisme ou les fièvres hémorragiques à hantavirus. De même, les événements anormaux de sécheresse peuvent favoriser certaines encéphalites infectieuses, du fait des vents de poussière qui peuvent les accompagner. Les cartes établies pour les derniers grands épisodes El Niño de 1997/1998 ou de 2007/2008 sont révélatrices. Elles montrent les corrélations géographiques entre les anomalies de sécheresse ou de pluviométrie et l’incidence des épidémies de ces maladies infectieuses.
Il n’est pas nécessaire d’entrer dans une période extrême El Niño pour mesurer les conséquences de la variabilité climatique sur les maladies infectieuses. La simple variabilité climatique inter-annuelle est associée aux incidences de plusieurs maladies infectieuses. On observe ainsi une corrélation temporelle et spatiale entre les valeurs des indices de variabilité climatique et l’incidence de la leptospirose ou de la dengue en Asie du Sud-Est, ou pour celles des fièvres hémorragiques à hantavirus en Europe. La télé-épidémiologie permet ainsi de prédire les incidences et les épidémies de nombreuses maladies infectieuses par une simple utilisation de ces indices. Des alertes peuvent être lancées à partir des mesures de température obtenues par les satellites permettant de prédire le risque épidémique de fièvre de la Vallée du Rift en Afrique australe, de la dengue en Amérique latine ou de la leptospirose en Asie du Sud-Est.
La variabilité climatique serait-elle donc plus importante que le changement climatique pour expliquer les épidémies et les risques sanitaires infectieux ? Les modèles climatiques récents suggèrent plutôt le contraire car le changement climatique en cours modifie l’intensité et la fréquence de la variabilité climatique. Pluies plus intenses, associées aux événements El Niño ou à la mousson en Asie, vagues de chaleur vont affecter l’environnement épidémiologique avec pour conséquence probable une augmentation de la variabilité du risque d’épidémies pour toutes les maladies liées à l’eau, transmises par des vecteurs, ou dépendant d’animaux réservoirs sauvages.
Crises sanitaires et changement climatique : l’affaire de tous
Comme l’écrit le 5e rapport du GIEC publié en 2014, le fardeau des maladies humaines provoquées à l’échelle mondiale par le changement climatique reste mal quantifié à l’heure actuelle. Mais les incidences d’événements climatiques extrêmes survenus récemment — vagues de chaleur, sécheresses, inondations, cyclones et feux incontrôlés — mettent en évidence la grande vulnérabilité et le degré élevé d’exposition de certains écosystèmes et de nombreux systèmes humains à la variabilité actuelle du climat. Il s’agit donc d’accroître les connaissances scientifiques à travers le développement d’approches intégrées impliquant la prise en compte des relations complexes entre climatécologie-santé et société pour être capable d’anticiper et de mettre en œuvre des stratégies de gestion des crises sanitaires. Mais si les prévisions et les scénarios basés sur l’expertise scientifique sont nécessaires, ils ne sont suffisants qu’à condition que les systèmes de santé publique soient résilients, ce qui suppose à la fois coordination entre tous les niveaux de gouvernance (territorial, national, international) ; connexion des questions de santé, de climat et de modes de vie ; échanges et coopération entre les différents acteurs de la société que sont les personnels de santé, les scientifiques, les politiques en charge de la décision et de l’action et les citoyens.
Situation globale sans précédent, la population mondiale se trouve aujourd’hui confrontée à des bouleversements inédits, des changements complètement inconnus de la basse et moyenne atmosphère causés par l’être humain et à une déperdition totale, partout sur la planète, de divers autres systèmes naturels (fertilité des sols, aquifères, ressources halieutiques et diversité biologique en général). Le monde a pris rapidement conscience du fait que ces changements voire bouleversements allaient compromettre de manière profonde les activités économiques, les infrastructures et les écosystèmes aménagés, mais ce n’est qu’à présent que l’on reconnaît avec stupeur que le changement climatique présente des très sérieux risques pour la santé humaine.
Le développement durable concerne essentiellement le maintien du système écologique de la Terre et d’autres systèmes biophysiques qui entretiennent la vie. Si ces systèmes viennent à péricliter, le bien-être et la santé des populations humaines seront compromis. Certes, la technologie nous permet de retarder pour un certain temps l’échéance de la nature, mais on ne peut y échapper. Il nous faut vivre dans les limites de notre planète. La transition vers le développement durable fait de l’état de santé des populations humaines un élément central.
Par le Docteur Michel Innocent Peya / Ecrivain chercheur Congolais