Microalgues en Bretagne : Marée invisible, effets bien réels

Microalgues en Bretagne : Marée invisible, effets bien réels

Printemps 2025 : les microalgues toxiques ont bouleversé les côtes atlantiques. L’été s’ouvre sous étroite surveillance.

« On est monté à 500 000 cellules par litre. C’est un niveau qu’on ne pensait pas revoir depuis Xynthia », confie Maud, coordinatrice à l’Ifremer. Sur les quais de La Turballe, dans les viviers de la baie de Quiberon ou sur les grèves du Finistère sud, la surprise et la stupeur ont laissé place à une question : cet été, peut-on se baigner, pêcher, consommer des fruits de mer en toute confiance ?

Un bloom printanier d’une ampleur inédite

Entre fin mars et début mai 2025, les littoraux compris entre l’île d’Yeu et la pointe du Finistère ont connu une prolifération massive de microalgues toxiques , principalement de l’espèce Pseudo-nitzschia australis. Cette diatomée microscopique produit une toxine redoutable : l’acide domoïque , responsable du syndrome d’intoxication amnésiante par les coquillages (ASP – Amnesic Shellfish Poisoning ).

Loin d’être anecdotique, cet épisode a entraîné la fermeture préventive de la pêche et du ramassage de coquillages sur plusieurs dizaines de zones conchylicoles. « Nos analyses dépassaient largement le seuil d’alerte de 10 000 cellules par litre. On est parfois monté à plus de 500 000, du jamais vu dans certains secteurs », note un rapport d’Ifremer.

Comment expliquer cette prolifération ?

Les scientifiques s’accordent sur une combinaison de facteurs favorables :

  • Des pluies hivernales abondantes ont lessivé les terres agricoles, enrichissant les eaux littorales en nitrates et phosphates.
  • Des conditions printanières chaudes, calmes et ensoleillées , couplées à une faible agitation des masses d’eau, ont permis à la microalgue de s’installer durablement.
  • Une compétition réduite au sortir de l’hiver a permis à P. australis de dominer le plancton.

« C’est un écosystème en déséquilibre, dopé par l’excès de nutriments. La mer devient une serre chaude pour algues opportunistes », résume le biologiste marin Vincent Le Gall.

Des conséquences économiques et sanitaires très concrètes

Pour la pêche : un coup d’arrêt brutal

  • Zones touchées : Vendée, Loire-Atlantique, Morbihan, Finistère.
  • Durée des fermetures : de 3 à 6 semaines selon les lieux.
  • Impact économique estimé : plus de 12 millions d’euros de pertes pour la conchyliculture et la pêche à pied.

Dans la ria d’Étel, Morgane, ostréicultrice, raconte : « On venait de commencer la saison. Tous les stocks étaient prêts. Et là, rideau. Les touristes posent des questions, certains refusent d’acheter. On a beau leur dire que tout est sûr aujourd’hui, le doute est planté. »

Pour la consommation : prudence des consommateurs

Bien qu’aucun cas d’intoxication humaine n’ait été recensé ce printemps (grâce à la réactivité des dispositifs sanitaires), les ventes de coquillages ont chuté de 30 à 50 % durant les mois d’avril et mai, et le marché peine à retrouver son rythme.

Pour la baignade : pas de danger direct, mais…

Contrairement aux algues vertes ou aux cyanobactéries d’eau douce, pseudo-nitzschia ne représente pas de risque par contact cutané. Les plages restent ouvertes, les eaux surveillées, les drapeaux bleus flottent.

Mais la prolifération d’une algue invisible et toxique laisse une impression de vulnérabilité diffuse : les mairies de Quiberon, Pornic ou Groix ont commencé à installer des panneaux d’information à l’entrée des plages pour sensibiliser les usagers aux risques liés aux microalgues.

Plage des Godelins à Etables-sur-mer au mois de septembre 2022

Une façade atlantique sous surveillance cet été

Depuis début juin, les analyses hebdomadaires montrent que les taux de Pseudo-nitzschia sont revenus sous les seuils critiques, partout sur les côtes atlantiques. Toutes les zones de pêche et de baignade sont aujourd’hui réouvertes , et les concentrations de toxine sont indétectables dans les coquillages commercialisés.

Mais les experts sont prudents. « La situation est stable mais pas figée. Si juillet est orageux ou si la canicule s’installe avec peu de vent, on pourrait voir une nouvelle efflorescence », indique l’Ifremer. Un scénario que redoutent déjà les conchyliculteurs.

Et maintenant ? Vers une adaptation des littoraux

En répoonse à la répétition de ces épisodes (2009, 2015, 2021, 2025), plusieurs pistes sont à l’étude :

  1. Renforcement des bandes tampons végétales en amont agricole.
  2. Élevage de macro-algues absorbantes (laminaires, ulves) dans les zones à risque.
  3. Outils numériques de prédiction des blooms par modélisation satellite et données en temps réel.
  4. Applications citoyennes (comme Phenomer) pour signaler toute anomalie visuelle.

Le bloom exceptionnel du printemps 2025 n’a pas vidé les plages ni effrayé les baigneurs. Mais il a laissé des traces invisibles : économiques, psychologiques, écologiques. Ce n’est pas une catastrophe. C’est un signal.

« Les microalgues sont des sentinelles. Elles nous parlent de notre manière d’habiter le territoire, de cultiver, de rejeter, de consommer », rappelle Vincent Doumeizel. Le défi n’est pas de les faire disparaître. Mais de rétablir des conditions marines qui n’en fassent plus des dominatrices.

Les bons réflexes cet été

Signalez tout phénomène inhabituel en mer via l’application Phenomer . .

Consultez les bulletins Algues & Coquillages sur www.ifremer.fr

Vérifiez les panneaux d’affichage sur les plages.

Achetez vos coquillages chez des professionnels contrôlés.

Articles connexes :

https://unidivers.fr/pollution-des-eaux-par-les-nitrates-en-bretagne-letat-rappele-a-lordrre/

https://unidivers.fr/algues-vertes-letat-condamne-pour-la-mort-dun-joggeur-en-bretagne/

https://unidivers.fr/bretagne-pollution-des-nitrates/

https://unidivers.fr/pollution-des-eaux-par-les-nitrates-en-bretagne-letat-rappele-a-lordrre/

https://unidivers.fr/algues-vertes-bretagne/

https://unidivers.fr/algues-vertes-en-bretagne-des-echouages-tardifs-cette-annee/

Lire la suite sur unidivers.fr

Algues vertes : l’État condamné pour la mort d’un joggeur en Bretagne

Il aura fallu neuf ans de procédures, de mobilisations citoyennes, de contre-enquêtes écologiques et d’attente douloureuse pour la famille de Jean-René Auffray. Ce mardi 24 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a rendu un arrêt aussi symbolique qu’inédit : l’État français est reconnu responsable à 60 % du décès de ce joggeur retrouvé mort envasé dans un secteur envahi d’algues vertes, à Hillion (Côtes-d’Armor) , le 8 septembre 2016.

Ce jugement marque une avancée historique dans la reconnaissance du danger que représentent les marées vertes pour la santé humaine, mais aussi dans l’attribution des responsabilités entre collectivités locales, agriculteurs et l’État. La juridiction nantaise a condamné ce dernier à verser une indemnité à la famille du défunt pour “carence fautive”. Une faute, donc, de ne pas avoir mis en œuvre les mesures suffisantes pour prévenir un risque connu depuis plusieurs décennies.

Une mort dans la vase… et dans le silence ?

Jean-René Auffray, 50 ans, passionné de sport et fin connaisseur des sentiers côtiers, était parti courir le long de l’estuaire du Gouessant, entre terre et mer. Son corps avait été retrouvé envasé, sans signes apparents de lutte. Dès l’origine, la famille avait suspecté un lien avec les émanations d’hydrogène sulfuré (H2S) produites par la putréfaction des algues vertes, un gaz hautement toxique pouvant provoquer une perte de connaissance en quelques secondes. L’enquête médico-légale, puis plusieurs expertises, ont conforté cette hypothèse.

Le tribunal relève que l’État, malgré sa connaissance du phénomène et de ses dangers mortels (confirmés depuis la mort de plusieurs sangliers et chevaux dans des conditions similaires), “n’a pas suffisamment encadré ou prévenu les risques encourus par les usagers du littoral”. Une inaction jugée d’autant plus grave que le site d’Hillion était identifié de longue date comme un point noir des marées vertes en Bretagne.

Algues vertes : un scandale sanitaire et politique persistant

La condamnation de l’État dans cette affaire relance le débat autour de la prolifération des algues vertes en Bretagne, nourries en grande partie par les excédents de nitrates agricoles (rejets d’engrais et d’effluents d’élevage). Malgré les plans gouvernementaux successifs, la situation reste critique sur plusieurs secteurs côtiers. Selon les données de l’ Observatoire de l’environnement en Bretagne , près de 80 sites sont touchés de manière chronique.

Pour les associations environnementales, cette décision est un tournant : “C’est la première fois que la justice établit un lien direct entre l’inaction de l’État et une mort humaine”, commente un responsable d’Eau et Rivières de Bretagne. “Cela ouvre la voie à d’autres recours, mais surtout à une prise de conscience politique qui tarde encore.”

Vers une politique de prévention plus contraignante ?

Au-delà de la condamnation, la cour administrative a également enjoint à l’État de renforcer ses actions de lutte contre les algues vertes , notamment en encadrant plus fermement les pratiques agricoles dans les zones à risque. Cette injonction s’inscrit dans un contexte plus large de revendications écologiques et sanitaires qui dénoncent depuis des années la complaisance des autorités envers l’agro-industrie bretonne.

La préfecture, de son côté, n’a pas encore indiqué si elle comptait se pourvoir en cassation. L’indemnisation à verser à la famille de Jean-René Auffray n’est pas encore précisée dans le détail, mais pourrait s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Un précédent qui fera date

Cette décision de justice pourrait faire jurisprudence. D’autres familles, d’autres associations, pourraient désormais se tourner vers les tribunaux pour faire reconnaître les conséquences sanitaires, environnementales et économiques de la prolifération des algues vertes. En Bretagne, mais aussi ailleurs sur le littoral atlantique et en Manche, où le phénomène ne cesse de s’étendre.

En condamnant l’État, la cour n’a pas simplement établi une responsabilité : elle a aussi lancé un avertissement. Le droit peut être un levier face aux inerties politiques. Et la mémoire des victimes, comme Jean-René Auffray, peut devenir une force pour réveiller les consciences et redessiner les lignes d’un avenir plus soutenable sur nos côtes.

Lire la suite sur unidivers.fr